Truismes
de Marie Darrieussecq
Une dystopie kafkaïenne
dérangeante
Genre(s) : anticipation, dystopie
Date de parution : 1996
Pages : 158
Quatrième de couverture :
"Le directeur a été très gentil avec moi le jour de mon embauche. J'ai eu la permission de gérer ma parfumerie toute seule. Ça marchait bien. Seulement, quand les premiers symptômes sont apparus, j'ai dû quitter la parfumerie. Ce n'était pas une histoire de décence ni rien; c'est juste que tout devenait trop compliqué. Heureusement, j'ai rencontré Edgar, et Edgar, comme vous le savez, est devenu président de la République. C'était moi, l'égérie d'Edgar. Mais personne ne m'a reconnue. J'avais trop changé. Est-ce que j'avais raté la chance de ma vie? En tout cas, je ne comprenais toujours pas très bien ce qui m'arrivait. C'était surtout ce bleu sous le sein droit qui m'inquiétait..."
o
Bien entendu, j'avais déjà entendu parler de ce roman célèbre et, comme beaucoup de monde, j'en connaissais déjà la prémisse improbable : l'histoire d'une femme qui se transforme en truie! Mais j'ai été étonnée de découvrir qu'il s'agit en fait d'une dystopie, et donc d'une critique sociale, à saveur politique et féministe. On se retrouve donc quelque part à la confluence de La métamorphose de Kafka, de La ferme des animaux de Georges Orwell et de La servante écarlate de Margaret Atwood.
C'est un roman qui a marqué la littérature française, et j'ai pu aisément comprendre pourquoi. Dès le départ, j'ai vraiment été captivée par la voix de la narratrice. Le décalage entre sa naïveté et les abus qu'elle subit pourrait être drôle s'il n'était pas aussi malaisant. Il faut le dire : l'intérêt que ce livre suscite a quelque chose de la fascination morbide et du voyeurisme malsain. Le sexe et le racisme sont racontés sans fard, dans cet univers qui dépeint de façon presque parodique les inégalités sociales et les privilèges des hommes blancs – et ce, en 1998!
Toute l'histoire et sa violence peuvent sembler complètement absurdes et gratuites au premier abord, mais lorsqu'on s'y attarde, on découvre qu'elles sont en fait lourdes de sens... À force de se faire traiter comme de la viande, la protagoniste en devient! Mais ironiquement, c'est ce qui l'éloigne du rôle féminin de beauté et de soumission que la société a voulu lui attribuer : elle prend du poids, des poils lui poussent sur le corps et, surtout, elle devient "cochonne", c'est-à-dire qu'elle commence à exprimer ses propres désirs au lieu de se contenter de satisfaire ceux des autres. Et sortir du moule imposé n'est jamais sans conséquences...
C'est un roman très dur, mais en même temps tellement fantaisiste qu'il est difficile d'en être réellement choqué. C'est plutôt une fable, une fable très tordue mais fascinante. J'en ressors avec l'impression diffuse et quelque peu troublante d'avoir été roulée dans la boue... et d'avoir aimé ça!
Les hauts : Une narration captivante, une prémisse très originale, des sujets audacieux...
Les bas : Des propos qui peuvent choquer, une intrigue qui pourrait laisser perplexe les lecteurs plus terre à terre...
5 raisons de le lire :
1. Pour découvrir une œuvre marquante de la littérature française
2. Parce que si Les trois petits cochons avaient été Les trois petites cochonnes, l'histoire aurait été bien différente...
3. Parce que, comme beaucoup de dystopies, celle-ci demeure
encore d'actualité plus de vingt ans après sa parution
4. Pour voir votre bacon d'un œil nouveau!
5. Pour vous libérer des impératifs de beauté et vous
réconcilier avec votre animalité!
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